Toile cirée

En photographiant cet objet pour l'immortaliser, je me suis demandé comment j'avais pu conserver une horreur aussi longtemps. Cette toile cirée symbolise pour moi la capacité d'adaptation d'un organisme à un environnement qui se dégrade. Elle était devenue honteuse, en témoigne ce véritable cratère à côté duquel je petit-déjeunais, je dînais et éventuellement je déjeunais en fin de semaine.

J'avais supporté cet état pendant plusieurs mois. Comment est-ce possible ?

Ma tolérance vis-à-vis de cette toile cirée miteuse provient sûrement du fait qu'elle n'avait qu'un rôle de cache-misère. La misère, c'est une table composée d'une planche en bois posée sur deux tréteaux. Certains assortiments de ce type s'avèrent souvent agréables - lorsque les bois sont beaux - en témoignent le catalogue Ikéa ou plus concrètement le bureau de Vmay. Mais de ces tréteaux-là, à 9 € pièce à Castorama, on ne peut attendre que de la fonctionnalité. Il paraissent pourtant avenants et propres comparés à la planche. La planche en bois, je me la traine depuis plus de 10 ans ! Elle me servit de bureau puis de table de jardin, fonction lors de laquelle elle subit par moultes intempéries des dommages irréparables : écaillement de la peinture et germes de moisissures. Cet élément de mobilier dégoûtant, de peur qu'il fût refusé par la déchetterie, je préférai le conserver et m'en servir non pas pour y déposer mes poubelles mais comme table à manger... C'est alors que la toile cirée entra scène.

Combien de légumes bio, de pains délicieux et céréales tombées du bocal auront touché cette chose ?

Son vieillissement fut précoce. Après chaque passage d'une éponge un peu trop vinaigrée, son marron tendait un peu plus vers le beige et le cyan vers le bleu pastel.
Le vernis se faisait moins lisse. Les premières fissures apparurent, révélant les fibres du coton, puis s'agrandirent. Pendant des mois, je constatai cela sans en être choqué le moins du monde. Je cohabitais avec cette dégénérescence. Une question d'habitude.

Le 3 octobre, en vue de préparer une tarte aux poireaux, l'idée d'étaler de la farine sur cette toile cirée me devient inacceptable.